mercredi 26 août 2009

Mode d'emploi: assurer son déjeuner dans les rues de Cali

Si vous vous retrouvez fauché comme les blés dans les rues de Cali, sans maison sans boulot et sans famille, ne vous laissez pas abattre. En jetant un coup d'oeil (circonspect s'il est clair, l'oeil) autour de vous, vous pourrez prendre des tas d'idées pour survivre jusqu'à demain matin. A ce moment-là on recommencera la manoeuvre, il n'y a pas le feu.
Allez, je vais le faire la première fois pour vous montrer. On va aller dans les grandes artères, il y a plus de monde, ça nous inspirera plus. Par exemple la Guadalupe, làà, on se plante sous un palmier à un carrefour, à côté du petit bonhomme vert (qui court de toutes ses jambes, il est super marrant), et puis contemplons les opportunités d'avenir.

1. On peut rester là, on n'est pas si mal hein, dénicher une planche et un vieux seau, une caisse renversée pour s'asseoir dessus, un couteau et deux plats, et des chontaduros* qu'on va vendre avec du sel et du miel. Si on croise des étrangers on leur donne seulement avec du sel, de toute façon ils ne connaissent pas et le chontaduro ça ne leur plaît pas, on ne va pas gâcher. C'est assez rentable, c'est sympa parce que les gens restent un peu pour discuter, de temps en temps il faut rappeler au gars qui vend des ananas et des mangues en brochettes sur le trottoir d'en face qu'ici c'est NOTRE territoire, mais dans l'ensemble on fait bon ménage.
Ah non, attendez, j'ai l'impression que pour faire ça il faut être une femme, noire, de préférence grosse avec une robe superbe de toutes les couleurs... il faut qu'on cherche autre chose alors.

2. Si on n'est pas noir mais qu'on aime bien quand même les couleurs vives de leurs robes, on peut toujours être jaune fluo. Pour ça on peut garder notre table, mais on a aussi besoin d'un parapluie, d'une pancarte et de crayons, et puis de minutes.
On va vendre des minutes de téléphone portable, et comme on sert de la qualité, nous, on assure tout le marché: Movistar, Tigo et Comcel. Il va y avoir de la concurrence aussi, les portables ça se recharge à tous les coins de rues**, mais la casaque jaune fluo est sympa et les gens ont toujours besoin de minutes :) .

3. Il est 9h du matin et le soleil commence à taper... je suggère qu'on bouge. Ah ça c'est parfait: si vous êtes avec moi, on peut se mettre en plein milieu du passage piéton, encadrer les voitures quand elles s'arrêtent et commencer à jongler à deux par dessus le toit avec des massues bleues et vertes. Il faut être rapide quand même, quand le petit bonhomme arrête de courir et qu'il devient rouge, parce qu'ici les voitures ne vont quand même pas freiner pour un ou deux petits piétons, non mais ho. Ah, ou alors, puisqu'on est près des voitures, on peut se promener sur la route et laver leur pare-brise avec du matos super pro un peu cassé, même s'il est très propre ou que les gens disent clairement qu'ils ne veulent pas. En général ils donnent toujours 200 ou 500 pesos, ça vaut le coup d'insister, c'est quasiment le prix d'une empanada.

4. Bon bon, je vois bien que vous n'êtes pas emballés par l'adrénaline. Dans ce cas on peut faire quelque chose de moins risqué: on va se faire reciclador. Ca consiste à s'approcher tranquillement des maisons, et à fouiller les poubelles pour voir ce que les gens nous ont laissé. S'il y a quelque chose à manger, on le mange, mais ce n'est pas ça le fond de commerce: on recycle tout ce qui est possible de recycler et ensuite on le revend. Ah, attendez voir, là il y a un journal qui parle de poubelles, je sais lire, je vais vous dire ce que ça raconte: ... .... ....
Les nouvelles sont mauvaises: une loi est en cours de discussion au Parlement, qui va rendre obligatoire les poubelles à couvercles fermés, inaccessibles. Pan! dans la figure du reciclador. Mais pourquoi? me direz-vous, eh bien c'est pas compliqué, l'un des copains d'Alvaro Uribe (notre bien-aimé président) est le boss d'une entreprise de recyclage. Il ne faudrait quand même pas qu'on lui enlève sa marge de profit, dites donc.

5. Bon... les choses se gâtent. Qu'est-ce qu'on va faire? Il commence à faire faim ici. Je tourne la tête de tous les côtés, mais je trouve plus tellement d'idées... La ruelle s'obscurcit en plus, ça devient difficile de voir. Ah, attendez, si, je vois quelqu'un qui arrive par l'autre côté... Il est tout seul. On est combien nous? Plusieurs. Mais c'est qu'il a une belle montre, ce monsieur. De belles chaussures aussi. Regardez les miennes, elles sont toutes trouées. Je vais m'approcher, doucement, et puis lui demander le nom de la rue. Il n'a pas l'air trop méfiant, et j'ai une bonne tête en plus.


* Les chontaduros, ce sont des petits fruits bizarres en forme d'oignons super secs.
** (à prendre littéralement)

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