lundi 14 juin 2010

Le cas Colombie

Je suis au Perou depuis deux jours. Comme chacun sait, quand on habite dans un pays, on le voit plus lucidement en dehors qu'en dedans; voila donc l'explication du conflit colombien que je vous ai promise il y a longtemps et que je n'ai jamais pris le temps d'ecrire. Sans accents,parce que je suis dans un hostal plein a craquer d'etrangers a Mancora, sur la cote peruvienne, et des gens qui parlaient comme avec une mangue dans la bouche ont change le clavier; et apparemment on ne peux pas faire des accents avec une mangue sur la langue. Mais n'ayez crainte, j'ai reussi a localiser la ponctuation, ce sera tout de meme intelligible.


L'objectif ne sera pas que vous perceviez chaque detail du mecanisme qui fait que cette guerre n'en finit pas et se renouvelle a chaque mandat presidentiel ou hausse de la consommation de drogues. Ne nous meprenons pas, ce serait chouette; mais ca prendrait beaucoup de temps, de pedagogie et de clarite de ma part, parce que croyez bien que c'est un embrouillamini qui aurait occupe Penelope un bon siecle de plus.
L'objectif, ca sera que vous identifiez les gens importants dans ce conflit, et ce qu'ils font, et pourquoi ils le font, et comment ca influe sur les actions des autres gens importants.

Pour vous faire un schema simplifie, representez-vous 4 acteurs principaux: l'armee, les guerrillas, les paramilitaires, les narcotraficants. Et au milieu de tout ca, la population civile, bien sur.

La scene, c'est un grand pays (le double de la superficie de la France) avec une geographie capricieuse: trois cordilleres qui rendent quasi impossible la communication, des regions de jungle difficiles d'acces et d'exploitation, des deserts; mais malgre tout ca une terre tres fertile. Ici, comme disait Maya, une fille geniale qui est restee dans mon appartement avec ses 6 copains musiciens les trois dernieres semaines, tu jettes un graine par la fenetre et le lendemain tu as un bananier.

Cela nous amene au conflit principal: ici, on se bat d'abord pour la terre. C'est le conflit de fond, celui qui a tout cause. Il a couve pendant les vagues de colonisation des regions eloignees; mais attention, ce n'est pas une colonisation bien planifiee et controlee par l'Etat. Depuis l'independance en 1810, il y a deux grands partis traditionnaux en Colombie: le Parti Liberal et le Parti Conservateur. Si dans votre petit village on vous tue parce que vous liberal, ou alors conservateur, ca depend des endroits, et ca arrivait tres souvent, eh bien vous faites vos paquets et vous allez cherchez fortune avec votre famille ailleurs. Ou alors simplement si vous n'arrivez pas a trouver du boulot ou s'il n'y a plus de terres a cultiver la ou vous etes.

Donc les ptits colons arrivent dans les regions eloignee, et l'Etat s'en fiche. D'ailleurs il n'est meme pas la. Alors les colons cultivent leurs petits lopins de terre, fondent leurs petits villages, menent leur vie tranquilles. Et arrivent des speculateurs, ou alors des gens qui aspirent a etre grands proprietaires terriens; et ce qui est sympa dans les regions de frontiere (les nouvelles regiones colonisees) c'est que personne n'a de droit de propriete. Donc on peut juste virer les gens quand on a des plus gros bras qu'eux. Bien sur, au bout d'un moment, quelques bureaux administratifs etatiques pointaient le nez dans les regions de frontiere, parce qu'il y a des sousous a recolter des impots quand meme. Mais reste qu'aucune loi ne definissait bien le droit de propriete, et une loi mal faite ca peut se manipuler quand on a un peu d'argent et d'influence.

Le resultat, ce fut une expropriation allegre des ptits colons pour constuire un systeme de latifundias, c'est a dire d'immenses exploitations terriennes ou les colons, anciens maitres de la terre, devaient ou debarrasser le plancher ou travailler comme employes des latifundistas. C'est la que s'est lentemement cuisine le conflit arme. Parce que des conflits, il y en a partout. Simplement, quand il n'y a pas d'Etat pour le resoudre, c'est la violence qui fait le travail, c'est meme plus efficace.

Tout ca, c'est un processus qui s'est developpe sur les deux derniers siecles, et il y en a encore des exemples aujourd'hui. Maintenant, vont entrer en scene les acteurs du conflit actuel.

Je vous ai parle du bipartisme exclusif de la Colombie: seulement le Parti Liberal et le Parti Conservateur, pas de place pour les autres. Et comme ca ne suffit pas, ils se tapaient dessus sans arret pour assurer l'hegemonie de leur propre parti. Je vous dis ca delicatement, mais il faut vous imaginer les bains de sang totalement arbitraires parce que le cure de Risaralda, (ou Saint-Bourg-les-Coings si vous voulez) a fait une reflexion un tantinet anti liberale au sermon de ce matin, et Don Jose du village d'a cote qui passait par la a la langue longue.

Or il se trouve que le Parti Communiste, inspire par Cuba, a tente de s'implanter dans les annees 50-60. Sans beaucoup de succes, bien sur, mais avec suffisamment de diffusion pour donner des idees a certaines gens. Parallelement, au long des annees 40 a surgi une figure monumentale de la politique colombienne: Jorge Eliecer Gaitan. Il appartenait au Parti Liberal, mais c'etait un leader populiste avec des idees revolutionnaires, d'un parti qui incluerait le "pauvre peuple" et ferait cesser l'hegemonie des elites. Il en est arrive a de tels sommets de popularite qu'il soulevait des masses rien qu'en levant le bras. Il a postule pour les elections presidentielles; alors, le 9 avril 1948, on l'a tue. "MATARON A GAITAN"!!! ils ont tue Gaitan!! c'est le cri qui a retenti dans tout Bogota dans les jours qui ont suivi, qui furent de massacres atroces et de chaos total. Le Bogotazo, ca s'appelle.

Alors c'est a ce moment la, quand la grande majorite des Colombiens se sent orpheline pour avoir perdu Gaitan, que se forme les guerrillas, avec un projet communiste et liberal d'egalite dans la propriete de la terre, l'education et le travail. Elles prennent leurs noms officiels quelques annees plus tard:Forces Armees Revolutionnaires de Colombie, Ejercito de Liberacion Nacional, Ejercito Popular de Liberacion, Quintin Lame,... et plusieurs autres. Les deux premieres sont les principales: FARC et EPL. Ils se cachent dans la jungle, parmi la population, repandent leur ideologie, exercent la terreur sur les civils pour obtenir leur appui quand ils ne le donnent pas de bon coeur et font des embuscades a l'armee. Le but, c'est de prendre le pouvoir central. Mais avec une strategie locale: gagner le pouvoir dans les regions eloignees, et de la s'approcher de plus en plus du centre.

L'armee, donc, se voit defiee dans son suppose monopole de la violence legitime, et tente de le recuperer. Ce qui fait que l'Etat colombien, au cours des ans, privilegie une strategie de recuperation de souverainete territoriale, c'est a dire de lutte directe contre la guerrilla, mais en passant quand meme sur les civils parce que ces chiens abritent les guerrilleros, et sans chercher a resoudre les problemes fondamentaux: distribution injuste de la terre, inegalites profondes, pauvrete, manque d'opportunites.

L'armee et la guerrilla se tapent donc dessus par l'intermediaire des civils, parce que la guerrilla est cachee et il faut bien la denicher. L'insecurite et la violence rendent deja la vie compliquee.

Mais c'est pas fini: dans les annes 80 surgit le narcotrafic avec ses grands cartels, d'abord avec la marijuana puis rapidement et en immenses proportions avec la coca et l'amapola. Bon et juteux negoce, mais a la marge de la loi: il faut donc avoir son propre systeme de defense puisque c'est delicat d'aller se plaindre a la police. Ce sont les sicarios, l'armee privee des narcotraficants. En general, ces gens la ne se battent qu'entre eux. Mais si la guerrilla comment a y mettre son nez, et elle le fait parce qu'elle se rend compte qu'il y a un sacre profit qui leur passe juste devant, alors il faut leur taper dessus aussi, parce que sinon elle se met a reclamer des impots beaucoup trop hauts sur le commerce de la drogue et je mets la clef sous la porte, moi. Et puis avec tout ca, l'armee met le bazar de temps en temps aussi, bien que ca soit pas trop souvent vu qu'elle prend sa ptite commission dans toutes ces operations, tous comme les politiciens d'ailleurs qui ont une nette tendance a financier leurs campagnes avec les sousous blanchis de la cocaine. Mais ca il faut le dire a personne.

Et puis finalement, dans les annes 90, dans un contexte de violence dechainee entre les actions des guerrillas, le terrorisme du narcotrafic pour que l'Etat prohibe l'extradition, les actes de violence arbitraires de l'armee sous pretexte d'eradiquer les guerrillas et la terreur exercee par tout ce beau monde en meme temps, des petits militaires ou anciens militaires ont decide que l'Etat etait un incapable et que si c'etait comme ca ils allaient s'en charger eux meme. Surgissent les paramilitaires, ou groupes d'autodefense anti-insurgents (antiguerrilla). Et la, c'est la fin. Ils se consolident tres souvent avec l'aide de l'armee, qui ne va pas les en empecher puisqu'ils poursuivent le meme but, et commencent a prendre le pouvoir dans certaines regions dominees par la guerrilla. Les paramilitaires sont auteurs en deux decennies d'existence de plus de massacres et d'atroces tortures que toutes les guerrillas reunies.

Bien sur, tous ces gens veulent s'eliminer les uns les autres. Mais ne croyez pas que c'est si simple. Si vous regardez bien, de temps en temps sur un bord de route, vous verrez un guerrillero et un paramilitaire charger ensemble un bloc de cocaine dans un camion pour qu'il passe la frontiere.

Finalement, les buts poursuivis par chacun d'eux au moment de leur creation se sont efiloches et ont pratiquement disparu de leur champ de vision. Maintenant, tout cela se soutient tout seul et se retroalimente pour des questions de sous principalement, plus que de controle de la terre, bien que ce soit toujours un objectif important. Mais la solution au conflit est d'autant mieux cachee que personne n'a de revendications bien claires, et que tout le monde se maintient parce que pour l'instant c'est tout simplement plus confortable de rester dans une guerre de basse intensite et de veiller sur ses interets economiques que de mener une lutte a mort contre les ennemis ou on risque soi meme de disparaitre.