dimanche 7 février 2010

Dans la jungle, terrible jungle

On n'est pas mort, mais ce fut rude, camarades.

Le jeudi, Felipe, dit Pito, un copain de l'université, m'attrape dans un couloir et me demande si je veux monter au Pico de Loro (Bec de Perroquet, littéralement). C'est un des sommets dans les cordillères qui bordent Cali, 2 800 mètres de haut. Les gens l'appellent comme ça, à cause de la forme de bec de perroquet au sommet quand on le regarde de loin, mais son vrai nom c'était Pico del Oro, Pic de l'or, à cause des mines d'or et de quarts qu'il y a. Mais comme vous allez vous rendre compte, c'est pas des mines faciles à exploiter.


Le programme, c'est lever à 5h, pour être à 6h30 à la Javeriana, une des universités pas loin de l'ICESI. Là, je dois retrouver Pito, et attendre que quatre copains viennent nous chercher en voiture. On sort de Cali, on monte à Pance, on grimpe le début de la cordillère et on vient cueillir le guide dans sa maison. 4h de montée, un peu moins de descente, et on revient à la maison le même jour. Haut les coeurs et haut les pieds, je signe.

La chose s'est un peu compliquée, bien sûr, sinon c'est pas drôle.
Pour moi, 2h de sommeil pas plus, pour cause de squat inopiné de Colombiens en peine d'un toit sous lequel raconter des bêtises toute la nuit. Je suis une excellente hôtesse (sisi, j'accueille même avec un jus de fruits de la passion, fait par moi); je les ai quand même virés sans remords sur les coups de 2h30, quand l'aube et l'heure de me lever pour aller crapahuter approchaient à grand pas.



Lever difficile, mais avec de la motivation on déplace des becs d'oiseaux exotiques, comme chacun sait. Premier aperçu du fameux bec: un mur de brume blanche en arrivant à la maison du guide à 7h du mat'.



La fine équipe, attendant le guide qui venait à peine de se lever. Je crois bien qu'il nous avait oubliés, mais comme on est arrivés devant sa porte, yavait plus grand-chose à y faire. De gauche à droite: Cristian dit Koki, Catalina, Pito, Maria Alejandra et Oscar. On lève la tête: tout est blanc. Tout? non! ça se dégage, là, doucement. A ce moment-là, quand vous êtes tout contents parce que vous arrivez à voir un bout du flanc de la montagne devant, vous tombe dessus la dure réalité: aujourd'hui, il va pleuvoir. Et il a plu toute la journée, dru et humide comme on l'aime. Je vous présente le guide: "Je m'appelle Renan", me dit-il. "Ca vient de France."


"Enchantée," je lui réponds; "c'est comme Ernest et moi."


Son frère nous accompagnait aussi; 21 et 17 ans. Le début de la montée: tranquille, sous les goutelettes, pas encore les trombes qui nous attendaient plus haut.


On a marché une vingtaine de minutes comme ça, paysage mi-pré mi-forêt; et à un moment tout commence à s'obscurcir. A cause de la brume qui monte, d'une part; et aussi parce qu'on rentre dans la jungle.


Renan, le guide, prend une tête sérieuse et nous explique pourquoi il ne faut JAMAIS monter ici tout seul. La légende, c'est que le Pico de Loro est une croisée des chemins au sens de Pullman: c'est-à-dire, ici s'ouvrent des portes sur des mondes parallèles. C'est pour ça qu'il y a des gens qui montent, et ne reviennent jamais.


Plus sérieusement, c'est aussi parce qu'il y a des chemins qui paraissent des chemins mais n'en sont pas. Vous avancez, et pouf! le tapis de feuilles et de racines sur lequel vous marchez se déchirent et vous vous cassez la figure dans un abîme. L'histoire se termine là.


Et puis pour le folklore, il y a aussi la maison de la sorcière, qui est celle qui vous amène aux portes des autres mondes... mais je n'en dirai pas plus.


Pito, Renan et moi, on était toujours en avant, plus haut que les autres. Catalina et Maria Alejandra ont pas mal souffert pendant la montée; moi j'étais fière de suivre à peu près le rythme de Renan, hahaha. Et c'est qu'il avait des longues jambes, le bougre.





C'est pas que mon appareil photo soit sale: c'est la brume. Les montagnards racontent que quand on crie dans la montagne, ça fait monter la niebla, la brume. Soit elle a l'oreille fine, la montagne, soit elle avait gadejo = ganas de joder = envie de nous casser les pieds, parce que le seul bruit qu'on faisait c'était quand Pito disait des bêtises, ou les halètements gémissants des demoiselles derrière. Notez qu'à ce moment-là on était déjà trempés.






Et maintenant on attaque la loma brava, comme a dit Renan, littéralement la "colline furaxe", quasi à pic, enfin pas sympa quoi. C'est marrant, il faut s'accrocher aux racines, on se casse la figure parce que le chemin et trempé donc on glisse dans la boue, et on recommence!



Elle bluffe. Elle m'a vue une seconde avant que je prenne la photo alors elle a fait style. Ne vous y fiez pas. On avait déjà 3 bonnes heures de montée mouillée dans les jambes à ce moment-là, et il nous en restait deux.


C'est qu'on a rencontré en montant un groupe d'Allemands qui venaient avec un guide; et ils avaient perdu un de leurs enfants. Faut dire qu'ils étaient complètement inconscients: d'abord on n'emmène pas trois gamins dont un bébé (qui avait les lèvres et les ongles bleus de froid) crapahuter dans la jungle; ensuite on ne laisse pas son petiot de 6 ans partir en avant, surtout quand on est beaucoup plus lent que lui et qu'il ne parle même pas la langue. Bref, le petit Amos était perdu. J'étais assez impressionnée par la contenance du père, je ne vous décris pas l'état de panique hystérique dans lequel j'aurais été à sa place. On a passé un peu de temps à tourner dans les environs, on appelait Amos, on cherchait partout, mais on ne l'a pas retrouvé. Alors on les a laissés continuer à chercher pendant qu'on montait, parce qu'il vaut mieux ne pas se faire attraper par la nuit ici, et on voulait arriver au sommet.
Et pendant que vous marchez, une chose vous traverse l'esprit. C'est sur ces chemins-là, sous cette pluie-là, mais dans des conditions de tous les jours horribles, et tellement épuisés qu'on se demande quelles idées les fait encore tenir debout, que les guerrilleros passent leur vie entière. D'ailleurs, ces montagnes étaient fermées par l'armée jusqu'à récemment à cause de la présence de la guerrilla. Ca vous fait tout drôle.

Tadaaaaa.... el Pico de Loro!! (là je vous ai passé encore 2 bonnes heures de grimpette, ça devenait dur la dernière demi-heure). Le sommet, c'est des gros rochers dont on dirait que quelqu'un les a jetés là sans faire attention, et les a oubliés. Quand on est arrivés, tout était plus blanc qu'Ariel. On ne voyait pas un petit bout de pré en bas ni le moindre pic de montagne devant. Je vous laisse deviner la frustration sourde que vous ravalez entre vos dents, à défaut de déjeuner (parce que comme il est de notoriété publique, je suis quelqu'un avec un solide sens pratique, et je n'avais rien à manger). Heureusement, les autres avaient emmené deux-trois trucs, donc on s'est calés avec des petites saucisses en conserve. Les guides avaient le panier de pique-nique, la ptite salade de riz, la viande, tout le tralala, limite la nappe à carreaux.


Et d'un seul coup d'un seul, le vent du Nord a soufflé fort. La brume commence à se dissiper, tranquille, changeante. Et les sommets émergent tout autour, très proches et très hauts. On attendait encore que les autres arrivent; on savoure brusquement une paix et un silence dont on n'était pas conscient avant, assourdis par le brouillard.

On se retourne: la vallée d'où on vient.

Et voilà les autres. Voix d'hôtesse de l'air/guide des grands sommets: En face de vous sur l'expression d'Oscar, vous pouvez lire l'exténuation et le yen-a-marre qui caractérisent les derniers pas avant de se poser sur la première touffe d'herbe pelée qui vient. Cette façade est récurrente dans l'architecture néoclassique biiiip - pardon, bug.

Je suis un condoooooooooooooor!!!!!!


On dirait que Koki fait partie du paysage, non? qu'il est là tout le temps, sur son caillou, méditant la nuée, attendant les dingues qui viennent camper sur leur pic à la limite du ciel. Veni, vidi, vici. (En revanche, je sais pas bien pourquoi ma langue est dehors).



Pito l'explorateur.
Ces Colombiennes... a-tti-tude est le mot d'ordre. Peu importe combien elles ont pleuré pendant la montée.

Les mecs ne font pas tant de spectacle. Un peu de silence, et ne pas bouger, juste cinq minutes.
Et comme on pouvait s'y attendre, vu (ou vaguement distingué en plissant les yeux, plutôt) le brouillard qui s'amoncelait sur le Bec en question, il a plu. Très fort. On s'est réfugiés sous une toile en plastique, nous on ouvrait les saucisses qui restaient pendant que les gars cherchaient des branches à planter pour soutenir la toile.


Efraín, le fameux frérot. Copie conforme de Renan mais en rose.
1heure de l'après-midi, il fait déjà super sombre. C'est là qu'on se dit qu'il faut pas trop traîner, si on veut y voir quelque chose en descendant. Et le signal fatal: le tonnerre, très très fort juste au-dessus de nous. Les cheveux de Pito étaient complètement dressés sur sa tête, mais ça ne se voit pas bien sur la photo. Les miens aussi, et comme ils sont longs ça me faisait des antennes.


Un dernier moment pour regarder avant que ça ne se recouvre: ici c'est la jungle vierge, inchangée par l'homme, parcourue peut-être par la guerrilla, mais rarement, sur des milles et des milles.



Et on commence la descente. La montée c'était sportif, la descente n'est pas de la rigolade non plus. C'est plus pour penser, comme a dit Pito: il faut réfléchir chaque trois ou quatre pas pour élaborer stratégiquement votre prochaine avancée d'un mètre. Vous avez droit aux arbres, aux racines et aux lianes pour vous aider, mais vous avez une pénalité si vous faites rouler une pierre sur le chemin vers ceux de devant. Si jamais ça arrive, vous devez crier PIEDRA!!! pour que les autres sachent qu'un objet roulant potentiellement fatal va leur arriver sous les pieds, déjà dans un équilibre incertain entre la boue et les pierres vicieuses qui se détachent.

On redescent plus vite qu'on ne monte, mais ce sont quand même 4 heures. Les 3 premières sont les plus dures (la loma brava, vous vous souvenez?) Ensuite le terrain s'aplanit, et la végétation change aussi. On revient vers une espèce de forêt, moins de lianes et d'arbres étranges dans le plus pur style Silvebarbe. Cet arbre que vous voyez là, avec Renan et Efraín, il est important. C'est l'Arbre du Repentir: quand on arrive ici en montant, c'est le dernier moment où on peut décider de faire demi-tour et revenir à la maison. Sinon, une fois que vous êtes là, montez jusqu'en haut.
Pito et Maria Alejandra.

On commence à accélerer la descente. C'est l'instant où vous vous apercevez que cette jungle, elle ne vous a pas laissé passer comme ça, sans rien dire. A partir du moment où elle se referme sur vous, quand les arbres et des feuilles plus larges que vous bloquent l'entrée de la lumière, se reserre dans un même bruissement une atmosphère lourde d'humidité et oppressante. Ca ne vous affecte pas tout de suite, on s'en rend compte plus tard, quand c'est déjà fait. Et on accélère pour sortir vite: pour ne plus voir cette suite qui n'en finit pas de troncs et de branches et de pierres et de feuilles, vert, brun et noir confondus dans la voûte fermée si vous regardez vers le ciel.

Le bosquet des frères Grimm. On voulait attendre Monica Belluci, mais on était fatigués.
Et en plus, je vous demande pardon, mais je vaux bien une Belluci, moi aussi j'ai un accent bizarre quand je parle.

Imaginez-vous tout seuls la dernière heure pour rallier la maison des guides. Moi je ne fais plus d'efforts: je marche tout droit sans penser, les jambes se lèvent toutes seules, je suis trempée, je veux juste arriver.
Ca y est...

La paix retrouvée. Rien dans les jambes, rien dans la tête, je regarde fixement ces trucs étranges qui pendent. Le retour des guerriers, un quart d'heure après Pito, les guides et moi.
Ah, à propos d'Amos: on a demandé à des gens qu'on a croisés en arrivant près de la maison, et il a été retrouvé. Une belle part de chance, si on me demande mon avis. On était soulagés quand même.


Je ne bouge toujours pas, pas envie. De toute façon on attend les garçons qui sont allés piquer une tête dans la rivière pour se rincer. C'est Koki qui nous ramène à Cali.


Une fois dans la voiture, l'idée qui vous fait avancer, la lumière au bout du tunnel, c'est soupe aux légumes bol de thé, et qu'on me f... la paix. En caleño, ça se traduit par:
1. endurez 30 minutes d'air climatisé du bus Mio sous vos vêtements trempés et pleins de boue (et ne geignez pas, au moins maintenant les gens vous regardent pour une raison). Faites une flaque noirâtre sous votre siège, plic ploc PLAF, plic ploc PLAF (les frissons vous font onduler violemment à une fréquence d'aprox. 50Hz)

2. Arrivez dans votre appart sous l'oeil sarcastique du gardien (obstiné témoin de tous vos retours, et registre vivant de vos instants de gloire ou de décrépitude en tous genres);
3. faites chauffer une énorme casserole d'eau pour vous offrir le luxe d'une douche chaude, agenouillé, avec une tasse pour vous asperger (ça faisait des mois, 'jo'epucha!)*

4. Vous avez vu les plats de nouilles de Hulk? Bon, le même, factorielle.

5. Rassemblez votre volonté et traînez-vous jusqu'à l'anniversaire de Citlalli, (heureusement elle habite à cinq rues d'ici) parce qu'à Cali, la rumba ne va pas s'arrêter parce que vous décidez d'allez jouer à Tarzan.
Je suis restée une heure et ils m'ont renvoyé à la maison. Je ne devais pas avoir une bonne tête, et à côté des filles d'ici je ne vous raconte pas le contraste. Je me suis réveillée 12heures plus tard, fraîche comme une laitue.

* Un jour, je vous expliquerai d'où vient cette version polie d'un juron; ici n'est pas le lieu. En attendant, vous pouvez essayer de deviner.

vendredi 11 décembre 2009

¡LA VAMO A TUMBA!

Le dernier jour de construction, día de las velitas, tandis que nous toitions sagement, ca a commencé a drolement s'animer dans la rue. Parce que tous ces Don Jaime, Daniel, Carlos et Juan n'ont peut-être que des tôles au dessus de leurs têtes, mais ils ont une sono d'enfer. Donc je voudrais vous faire partager le swing de 22h dans une maison à moitié toitée, sur une salsa on ne peut plus adéquate:


Les paroles, et vous allez comprendre le mystère de l'éternelle allégresse des Noirs. On construit une maison. Et ensuite, on va la détruire, parce qu'on est tellement content qu'on fait la fête super fort!!!



"Cette maison que j'ai construite


Au prix de tellement de travail



Avec un sol de guayacán (un bois très dur)



Et des murs de chachajo



Cette maison c'est moi qui l'ai construite



Avec amour et sacrifice



Dans le quartier c'est la fête j'ai invité mes amis





Aujourd'hui! on va la démolir (¡LA VAMOS A TUMBAR!)



On va la démolir





Cette nuit je ne dors pas



Cette nuit je danse et je bois



Cette nuit je suis content



Cette nuit je m'enivre





On va la démolir





On va lui enlever le toit, on va secouer le lit, on va jeter les assiettes et les tôles par la fenêtre!



Cette maison c'est la mienne, démolissez-la! Je suis heureux, démolissez-la!!



Démolissez-la (TUMBEN LA)!!!



Sautez dansez buvez buvez chantez criez buvez rigolez



Ca y est elle bouge, ça y est elle devient lâche, ça y est elle s'enfonce, ça y est elle tombe!



Oh on va la démolir



Allez acheter de l'aguardiente et du rhum pour tout le monde



Elle a bougé, elle s'est relaché, elle s'est enfoncée, elle est tombée!!!



Ma maison est tombée! C'est la fête, ma maison est tombée!!"



C'est ma salsa préférée. Tout le monde se met à sauter et à crier TUMBEN LA et on danse, même les septagénaires (en général c'est eux qui crient le plus fort). ¡LA VAMO A TUMBA!

Un toit pour mon pays

Un techo para mi país, c'est le nom de l'organisation. En gros, ce sont des étudiants et des collégiens qui rassemblent des fonds toute l'année, et quand ils en ont assez ils vont construire des maisons dans les quartiers de squat des grandes villes colombiennes. En fait l'organisation existe dans toute l'Amérique Latine, et marche pas mal. Un copain de l'université, Juan Sebastián, dit Wong, m'a attrapée une semaine avant, "tu veux aller construire???" C'est parti. On est montés un soir dans les quartiers de squat, Pampas Lindas et Las Brisas de las Palmas, sur le flanc de la montagne jusqu'à une école. On était une petite centaine, tous des inconnus pour moi à part Wong, mais la balle au prisonnier dans la cour d'école a réglé ça. Le ballon, et aussi dormir tous ensemble par terre dans les salles de classe, ça brise la glace.








Ces gais compères, c'est ma cuadrilla. On avait 10 maisons à construire, pour des familles qui les attendaient déjà depuis 10 mois; on s'est répartis à peu près à 10 par terrain, ou par cuadrilla. De gauche à droite, Jorge, votre humble servante, Geraldin, Stefania, Nicolas, Leonardo (notre chef de cuadrilla) et Maria.


Le lendemain matin, 8h, dans les squats. C'est complètement éclectique: ça va des maisons en briques, toutes solides, jusqu'aux 4 panneaux de tôles qui reposent sur des bouts de bois, et le sol c'est la boue. MAIS il y a quand même un terrain de foot, parce qu'il y a des choses essentielles, non mais. Ici la rue est pas mal du tout, droite, pavée, jolie; mais la plupart c'est juste des petites ruelles embouées, ça monte et ça descend et ça remonte, les voitures ne passent pas bien sûr. En revanche, c'est de là que Cali se voit le mieux. La maison des voisins de notre famille; ils avaient déjà détruit l'amas de tôles qui était leur maison. Heureusement; la cuadrilla du coin, celle de Raul, ont dû détruire la leur et c'est pas du gâteau. Première étape de la construction de maison: poser les pilotis. Comme le terrain c'est principalement de la boue qui s'enfonce, on ne peut pas construire la maison directement; donc on pose 9 pilotis dans la terre pour faire les fondations. C'est tout un art: il y a un pilotis maître, c'est le premier qu'on pose. Il faut creuser un trou, en faisant gaffe à ne pas fusiller les tuyaux qui sortent de partout, parce que quelque fois le robinet saute et ça jette de l'eau partout. Ca fait désordre. Ensuite on met le pilotis maître, un gros tronc en bois d'à peu près 10 centimètres de diamètre; c'est lui qui guide la construction de toute la maison. Il dépasse à peu près de 20 centimètres du sol, mais comme le terrain est inégal, tous les pilotis ne vont pas dépasser d'autant.
Et c'est là que ça se complique. On creuse un autre trou, en ligne avec le pilotis maître, à 3,50 mètres exactement, on met le pilotis dedans. Mais: le terrain est inégal. Donc il ne faut pas se fier aux yeux pour voir si le deuxième pilotis est au même niveau que le premier, ça vous ferait une surprise en posant le sol. Entre en scène la fameuse technique de "dar nivel", donner le niveau. Il vous faut: un tuyau transparent, bien long; de l'eau; un petit sachet de sucre coloré acheté au coin de la... dans la boutique pas loin. On dilue le petit sachet dans l'eau...Et là, il faut aspirer, pas le choix. Ca laisse un goût pas terrible dans la bouche. Quand l'eau rouge est dans le tuyau, on plaque une des extrémités sur le pilotis à mesurer. L'autre, sur le pilotis maître, en se débrouillant pour que l'eau soit au niveau du pilotis; on attend que les niveaux de l'eau s'égalisent, et la première extrémité indique combien de centimètres il manque/il y a en surplus pour le pilotis à mesurer. On entame le 4e pilotis: il faut faire des p'tits trous, des p'tits trous...
Je vous passe tout le posage de pilotis. Vers 2h, quand on en a posé à peu près 6, la famille nous sert le déjeuner. Menu: riz, oeuf, un peu de salade. Table: la boue ou les pilotis, ma foi. Conditions d'hygiène: pas recommendé de regarder. Mais ça m'a semblé le meilleur déjeûner de ma vie :) ça creuse de faire des trous. (Haha).
Discussion au sommet: mais si pilotis n°3 s'est décalé de 2centimètres sur le côté, et que pilotis n°5 est incliné par rapport à la diagonale, comment on va mettre pilotis n°8 pour qu'il cale avec pilotis n°9????
Ca s'est finalement réglé, après pas mal de creusage, dé-logeage de pilotis pas complaisants et recreusage bon gré mal gré. Ensuite vient l'heure glorieuse: on pose les poutres du sol. Ca commence à ressembler à quelque chose :D Il faut les clouer sur les pilotis, mais en faisant attention à ce que tout ça reste bien en ligne. On veut pas d'un sol qui flanche à la première salsa qu'il va endurer. Et là, on attend. Des clous. Le truc, c'est qu'on est beaucoup de cuadrillas, et ya pas beaucoup de matériel, donc de temps en temps il faut retourner en acheter au coin de la rue, mais comme on est en Colombie le coin de la rue c'est l'autre bout du quartier, et "ahorita vuelvo" (je reviens dans une minute) c'est "asseyez-vous et prenez une agua panela, ça peut prendre un certain temps". Donc pendant ce temps-là, on discute avec Don Jaime, à votre gauche.
Les clous sont arrivés, on peut commencer à poser le sol. Là non plus, c'est pas si évident: il faut d'abord monter les trois panneaux sol (pas légers) qui sont en bas du terrain (ça prend 5 mecs, 10 minutes, 2 doigts foulés et 3 filles qui ne servent à rien mais encouragent quand même). Quand les panneaux sont hissés jusqu'en haut, il faut les poser sur les pilotis et se débrouiller pour que tout concorde parfaitement, toujours dans le souci d'une bonne salsa ensuite. Et ensuite, on cloue. Le tarif de coups de marteaux: pour les mecs, en trois coups c'est réglé. Pour les filles, plutôt 20, mais on y arrive quand même, sous leurs regards de maman poule orgueilleuse de sa nichée.




Ensuite on pose les murs. Même opération pour monter les panneaux, tarifs de coups de marteaux un peu diminués, en économie ça s'appelle le rendement d'échelle. Et oui, on est pluridisciplinaire ici, et on fait même la cuisine: cette pâte douteuse dans la grosse marmite s'appelle la natilla. C'est le dessert traditionnel de Noël, ne me demandez pas avec quoi c'est fait. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ça cale.



Les fistons avec Doña Maria del Mar. Là ils font la tête, mais en vrai ils passaient leur temps à flirter avec Stefani, dont vous voyez la tête auréolée de son succès.

Souvenez-vous, la nuit tombe vite en Colombie. 7h, obscurité impénétrable: il est temps de revenir à l'école. Mais on part la tête haute: nous sommes la seule cuadrilla à avoir monté les murs. Restent à poser les correas (les poutres du toit), et à toîter bien sûr. Ce sera pour demain, parce que là on va s'écrouler sur nos sacs de couchage, bonne nuit.

Et le lendemain, c'est reparti. Les correas sont posées en un rien de temps, avec l'aide de Don Jaime:




Nicolas est concentré pour ne pas se casser la figure.


Moi je n'ai pas pu voir l'opération, parce que Cristhian (je vous le présente, il avait rejoint notre cuadrilla la veille dans l'après-midi, cherchez la peau la plus noire sur cette photo) et moi nous avons été envoyés dans la cuadrilla de Raul pour les aider à poser les pilotis.Ils ont galéré: 1. ils ont dû détruire l'ancienne "maison" avant de commencer à construire la leur; 2. leur terrain, c'était une vraie saleté: des tôles, des pierres, des tuyaux et du ciment dès qu'on creusait à 5 centimètres de profondeur; 3. ils étaient complètement désorganisés. Après avoir essayé de suivre ce qu'ils faisaient, Cristhian et moi on a commencé à devenir autoritaires, à exiger de sécuriser les pilotis et c'est allé plus vite. Le chef de cuadrilla était plus inexpérimenté que le nôtre, et on voyait nettement la différence.

Donc, re-belote jusqu'à la tombée de la nuit. C'était le dimanche soir, déjà: il ne manquait plus que poser les correas dans la maison de Raul. On aurait dû pouvoir inaugurer toutes les maisons le soir même. Le problème, c'est que les tôles des toits n'étaient pas arrivés, et qu'on repartait le soir même. La plupart devaient retourner bosser lundi, où aller en cours; on est tous redescendus ensemble.

Cali, vue de là-bas.

Day 3: techemos!!!! (Toîtons!) On était très peu à remonter dans la communauté le lundi, donc c'est deux jeeps qui nous ont emmenés. Comme à l'intérieur ne rentre que 6 personnes, il faut en accrocher deux ou trois derrière à l'extérieur. Ca fait des sensations, et on profite mieux du paysage en plus. Vous ne voyez pas la jeep, mais on y est bien arrimés, parce que ça cahote ;)

Petite visite à Doña Maria del Mar: ON VA TOITER!! la maison est quasi prête!


Là, il faut grimper. Mais d'abord, même opération que pour les panneaux du sol et des murs. Etape 1: Transporter toutes les tôles à toutes les cuadrillas, et c'est pas pour les fillettes: ça pèse super lourd, les ptits chemins de boue sont glissants et irréguliers, et en plus ça monte drôlement, et quelque fois on est au milieu d'une jungle de palmiers et il faut passer les tôles entre les branches pour atteindre le terrain (on se demande même comment la maison tient debout, comme ça au bord du précipice). Mais on y arrive.

Etape 2: hisser les tôles jusqu'au toit. On fait les singes, on s'agrippe comme on peut avec les pieds sur les poutres, et on pose les tôles. Il faut faire attention à ce qu'elles concordent parfaitement entre elles, pour répartir le poids et ne pas laisser entrer la pluie.



Avec mon beau t-shirt tout neuf! La maison qui toîte l'Amérique du Sud, c'est le logo de Techo.


Ca a l'air facile comme ça, mais c'est chronophage comme étape. C'est seulement après 4h heures de réglages, de rampement sur le toit, de déplacements de tôles et autres acrobaties qu'on a eu un toit satisfaisant: il était à peu près 18h à ce moment-là.




Ensuite il faut sécuriser le toit. On creuse des petits trous dans les tôles (des ptits trous, des ptits trous...), on passe par au-dessus des tôles une sorte de petite amarre avec deux fils de fer qui dépassent, on plante un clou dans la poutre en dessous et on enroule les fils autour du clou.


J'ai l'air endormie mais en vrai, je suis méga concentrée. Ne me dérangez pas.


Et ça y est, la maison est toitée!!! Vient le moment de l'inauguration. On fixe un ruban (aux couleurs de la Colombie, faut pas rigoler) devant la porte ouverte, et Doña Maria del Mar a le privilège de le couper. C'est assez émouvant, comme moment. Don James se mort les lèvres pour ne pas pleurer.




Mais en sortant dans la rue, on se reprend vite, parce que c'était le 7 décembre: día de las velitas (jour des bougies). Pour célébrer un miracle de la Vierge, tout le monde pose des petites bougies en ligne devant sa porte, et c'est pas parce qu'on vit dans la boue qu'on ne pose pas ses lumières.

Et bien sûr, toujours en musique: la salsa résonnait dans toutes les rues, tellement qu'on n'arrivait même pas à danser dans les maisons parce que les rythmes se superposaient et ça faisaient une cacophonie indéchiffrable.
Mais il y avait de l'ambiance, et même la petite-de-la-famille-de-la-maison-de-Raul s'est mise à gigoter. Ici tout le monde danse, dîner ou pas dîner, maison ou pas maison. Mais le message suivant vous en dit plus.